J.O. Numéro 172 du 27 Juillet 2000
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Texte paru au JORF/LD page 11561
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Mémoire complémentaire à la saisine du 5 juillet 2000 présentée par plus de soixante députés, en date du 17 juillet 2000 et visé dans la décision no 2000-434 DC
NOR : CSCL0004263X
LOI RELATIVE A LA CHASSE
A la suite des observations du Gouvernement en réponse à la saisine par laquelle la constitutionnalité de la loi relative à la chasse, adoptée par l'Assemblée nationale le 28 juin 2000, a été contestée, les requérants soumettent au Conseil constitutionnel le présent mémoire en réplique.
Les requérants maintiennent l'argumentation développée dans leur mémoire initial. Sans la présenter de nouveau dans son ensemble, l'objet de ce mémoire est, d'une part, de développer les moyens soulevés à l'encontre de l'article 24 du texte, qui instaure un jour de non-chasse et, d'autre part, d'appuyer la démonstration de la méconnaissance du droit constitutionnel de propriété en montrant que le paragraphe XI de l'article 14, qui modifie le droit local en Alsace-Moselle, y porte atteinte.
I. - Sur l'article 24 de la loi relative à la chasse
Le dernier alinéa de l'article 24 précité dispose que : « La pratique de la chasse à tir est interdite du mercredi 6 heures au jeudi 6 heures ou à défaut une autre période hebdomadaire de vingt-quatre heures comprise entre 6 heures et 6 heures, fixée au regard des circonstances locales, par l'autorité administrative après avis du conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage. »
Les requérants ont déjà soulevé, dans leur mémoire initial, l'inconstitutionnalité de cette mesure au regard du principe constitutionnel du droit de propriété, consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ils souhaitent développer ce moyen, d'une part, en complétant la démonstration de l'absence de « nécessité publique évidente », pourtant requise par l'article 17 de ladite Déclaration pour justifier une atteinte au droit de propriété et, d'autre part, en soulignant le caractère insuffisant de l'encadrement législatif du pouvoir ainsi dévolu à l'autorité administrative au regard de la jurisprudence constitutionnelle.
Sur l'absence de « nécessité publique évidente » justifiant une atteinte au droit de propriété :
L'article 24 de la loi ne contient aucune mention des motifs d'intérêt général justifiant l'instauration d'un jour de non-chasse. Or, si des limitations peuvent être apportées au droit de propriété, la loi doit être explicite quant aux motifs qui les justifient.
En effet, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 exige de fonder toute atteinte au droit de propriété sur une nécessité publique, non seulement « évidente », mais aussi « légalement constatée ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 81-132 DC du 16 janvier 1982, évoque de plus comme seules limitations constitutionnelles au droit de propriété celles qui sont « imposées par l'intérêt général ».
Dès lors, il apparaît que le jour de non-chasse institué par l'article 24 de la loi, qui n'est fondé sur aucune « nécessité publique évidente légalement constatée », doit être déclaré contraire à la Constitution.
Sur le caractère insuffisant et imprécis de l'encadrement législatif du pouvoir dévolu à l'autorité administrative :
La seule précision encadrant le pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative réside dans la prise en compte des « circonstances locales », qui ne sauraient à elles seules suffire à légitimer le dispositif. Il en résulte que l'autorité administrative départementale sera livrée à elle-même pour fonder la décision d'instaurer un jour de non-chasse. De même, elle aura toute latitude tant pour définir le jour de la semaine concerné que pour motiver ce choix, puisque la rédaction retenue se contente de faire référence au mercredi ou, « à défaut », à une autre période hebdomadaire.
Cette absence d'encadrement législatif précis méconnaît la jurisprudence du Conseil constitutionnel, aux termes de laquelle « l'administration doit fonder ses décisions, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs se référant à des fins d'intérêt général définies avec une précision suffisante par la loi » (décision no 85-189 DC du 17 juillet 1985).
Or, cette insuffisance de l'encadrement législatif aura des conséquences regrettables sur le contrôle que sera appelée à exercer la juridiction administrative sur les conditions de mise en oeuvre de la loi déférée. Alors que l'application du jour de non-chasse ne manquera pas de susciter un contentieux important, la rédaction insuffisante retenue à l'article 24 ne fournit, en effet, aucun élément au juge administratif pour fonder sa décision.
Ainsi, le jour de non-chasse institué par l'article 24 de la loi doit être déclaré contraire à la Constitution en ce qu'il repose sur un pouvoir discrétionnaire confié à l'administration sans que la loi définisse précisément les motifs d'intérêt général susceptibles de fonder et d'encadrer ce pouvoir.
II. - Sur l'article 14, paragraphe XI,
de la loi relative à la chasse
Le paragraphe XI de l'article 14 de la loi relative à la chasse complète l'article L. 229-5 du code rural en disposant que : « Dans les communes urbaines dont la liste est arrêtée dans les conditions de l'article L. 229-15, le conseil municipal peut, tous les neuf ans, décider de ne pas mettre en location la chasse sur son ban. Cette délibération fixe les conditions de gestion de la faune sauvage et de régulation des espèces susceptibles de causer des dégâts aux cultures, après avis de la commission consultative de la chasse prévue à l'article L. 229-4-1 et du conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage prévu à l'article L. 221-27. Dans ce cas, les articles L. 229-3 et L. 229-4 ne s'appliquent pas. »
Au-delà des conditions contestables dans lesquelles le droit local a ainsi été modifié par voie d'amendement, sans consultation préalable de la commission d'harmonisation du droit local alsacien et mosellan ni concertation avec les instances locales, le contenu même de cette disposition se révèle contraire aux principes constitutionnels, en ce qu'elle porte une atteinte au droit de propriété, qui n'est justifiée par aucune nécessité publique évidente constatée par la loi.
En effet, l'article 14, paragraphe XI, ne respecte pas les règles fondamentales régissant le droit constitutionnel de propriété à trois égards.
D'une part, la commune qui décide de ne pas procéder à la location du droit de chasse sur son ban prive les propriétaires de terrains d'une contenance de vingt-cinq hectares au moins d'un seul tenant ou de lacs et étangs d'une superficie de cinq hectares au moins d'une prérogative fondamentale attachée à leur droit subjectif de propriété consistant à pouvoir se réserver l'exercice du droit de chasse sur leurs propriétés en application de l'article L. 229-4 du code rural. Or, cette atteinte au droit de propriété n'est aucunement justifiée par des limitations découlant de la prise en compte de l'intérêt général et n'est accompagnée d'aucun mécanisme d'indemnisation, pourtant exigés par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
D'autre part, l'inapplication de l'article L. 229-3 du code rural dans l'hypothèse où la commune opte pour la non-location du droit de chasse sur son ban a pour conséquence d'interdire la chasse sur les terrains militaires, les emprises de la Société nationale des chemins de fer, les forêts indivises entre l'Etat et d'autres propriétaires et sur les terrains entourés d'une clôture continue faisant obstacle à toute communication avec les propriétés voisines. Or, la commune n'est pas propriétaire de ces terrains. De ce fait, elle ne saurait légitimement exercer sur ceux-ci le droit de non-chasse en tant que prérogative attachée au droit de propriété, dont elle n'est, en l'occurrence, pas titulaire. Lui confier ce droit revêt donc le caractère d'une atteinte au droit de propriété. Mais, dans la mesure où cette atteinte n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général ni accompagnée d'une juste et préalable indemnisation, elle doit être considérée comme contraire à la Constitution, et notamment à l'article 17 de la Déclaration précitée.
Enfin, l'absence de motifs d'intérêt général justifiant l'atteinte au droit de propriété que représente le paragraphe XI de l'article 14 de la loi apparaît confortée par l'absence de définition législative des communes urbaines concernées. En effet, l'article précité se contente de renvoyer à un arrêté ministériel le soin d'établir la liste des communes urbaines, qui ne sont pas plus précisément définies dans la loi.
Pour toutes ces raisons, le paragraphe XI de l'article 14 de la loi doit être déclaré contraire à la Constitution.